Dans un contexte de tensions croissantes dans le monde agricole, avec une Loi d’Orientation Agricole qui met l’accent sur la souveraineté alimentaire et des débats sur le Green Deal européen qui révèlent des visions contrastées de l’avenir du secteur, la place des pratiques agroécologiques doit plus que jamais être défendue. Malheureusement, l’état actuel des méthodes d’analyse environnementale (notamment les méthodes basées sur l’’analyse de cycle de vie), ne reconnait pas pleinement les multiples bénéfices environnementaux constatés sur le terrain, freinant ainsi leur intégration dans les stratégies des filières. Pourtant, un soutien accru des investisseurs et des acteurs majeurs de l’agroalimentaire devient plus que jamais nécessaire pour accompagner la transition agroécologique.
Présentation du projet BFAT
Face à ce constat, le projet BFAT (Biodiversity Footprinting for Agricultural Transition), initié par I Care by BearingPoint il y a un an, a pour ambition de développer des indicateurs plus pertinents pour mesurer les impacts des exploitations et filières agricoles sur la biodiversité. Nous revenons dans cet article sur nos premiers résultats.
BFAT utilise des méthodes et données issues de la littérature scientifique pour répondre aux besoins des entreprises et acteurs financiers. Son objectif est d’améliorer les modèles de mesure d’impact environnemental (basés sur l’Analyse du Cycle de Vie ou des métriques agrégées de biodiversité comme le PDF ou la MSA¹) afin de mieux refléter les effets des pratiques agroécologiques mises en œuvre sur le terrain.
Pour y parvenir, une équipe interdisciplinaire collabore depuis plus d’un an. Elle réunit I Care by BearingPoint & CDC Biodiversité, en partenariat avec des experts en systèmes agricoles de Biosphères et Agrosolutions. Un comité scientifique composé de chercheurs du Muséum National d’Histoire Naturelle, de l’INRAE et de l’Université de Dublin appuie également le projet. Grâce à ces contributions, BFAT dispose aujourd’hui de bases méthodologiques robustes permettant de modéliser les impacts sur la biodiversité de plusieurs commodités agricoles, en fonction des pratiques et systèmes de production déployés.
Intégration dans le paysage de la recherche
BFAT s’inscrit dans un paysage de recherche et d’innovation en pleine effervescence : des échanges réguliers sont menés avec Regen10, le hub Land de SBTN, l’équipe du MNHN qui travaille sur la quantification de certificats biodiversité, l’équipe du GIS Revalim, etc. Les résultats issus de BFAT peuvent être mobilisés par les entreprises et les acteurs financiers pour plusieurs usages stratégiques. Ils visent à améliorer le reporting environnemental en fournissant des indicateurs robustes et comparables sur les impacts biodiversité. Ils peuvent également guider les politiques d’achats et d’investissement, en identifiant les pratiques agricoles à prioriser pour réduire l’empreinte écologique des filières. Enfin, ils offrent un cadre d’évaluation pour orienter les engagements et objectifs de transition des entreprises, en alignant leurs stratégies avec les meilleures pratiques en matière de biodiversité.
L’un des axes majeurs du projet est d’apporter une vision comparative des contributions de différents modes de production (agriculture biologique, régénératrice, de conservation, etc.) aux pressions exercées sur la biodiversité (changement d’usage des sols, pollution, émissions de gaz à effet de serre, etc.). BFAT a notamment modélisé la contribution aux pressions de différents systèmes de production de blé parmi les principaux pays producteurs (Etats-Unis, Canada, Russie, Australie, Ukraine) permettant ainsi de comparer les ensembles {pays, système de production} entre eux.
Exemple de résultats à date
Ci-dessous sont affichées les pressions sur la biodiversité émises par deux systèmes de production de blé français (conservation des sols et agriculture biologique), en comparaison à un système conventionnel.
Figure 1 – Comparaison des pressions sur la biodiversité pour 1 kg de blé produit, entre 3 types de systèmes : conventionnel, biologique, conservation des sols
Dans le cas concret de la production de blé en France, l’agriculture de conservation des sols permet, par la diminution du travail du sol, à la fois d’augmenter la biodiversité sur la parcelle agricole, de réduire les fuites d’azote et de phosphore dans le milieu aquatique, et d’augmenter le stockage de carbone dans les sols par rapport à l’agriculture conventionnelle. Les risques écotoxiques liés à l’usage d’herbicides et pesticides restent néanmoins identiques, tout comme l’empreinte carbone.
En bio, le risque écotoxique est bien moindre, et l’intégrité écologique de la parcelle agricole est bien meilleure, tout comme la capacité des sols à stocker du carbone (en lien notamment avec l’intégration de prairies dans la rotation) – avec néanmoins un rendement près de deux fois plus faible.
Figure 2 – Pratiques agricoles considérées dans BFAT (cultures)
Les modélisations développées dans BFAT s’appuient sur une analyse détaillée des pratiques agricoles mises en œuvre sur les exploitations. Elles couvrent l’ensemble des étapes de production, de la préparation du sol à la récolte, afin de capturer les leviers d’action les plus influents.
Perspectives
Ainsi, en 2024, BFAT a permis d’obtenir des premiers résultats concluants sur plusieurs filières agricoles (blé, élevage bovin, huile de palme) et à différentes échelles (paysagère, régionale, nationale). L’ambition est désormais d’appliquer cette méthodologie à davantage de cas concrets. Pour cela, l’équipe du projet est aujourd’hui ouverte aux collaborations avec des entreprises souhaitant quantifier l’empreinte biodiversité de leurs exploitations ou de celles de leurs fournisseurs.
En rejoignant le projet BFAT, chacun peut contribuer activement à la recherche sur les impacts de l’agriculture et à l’évolution des outils d’évaluation, participant ainsi à la transition du secteur. Il s’agit d’anticiper les évolutions réglementaires, de se doter de méthodologies plus précises pour orienter ses choix stratégiques et de renforcer la crédibilité de ses engagements en faveur de pratiques agricoles durables.
Pour rejoindre le projet, contactez Eliette Verdier.
[1] L’indicateur Mean Species Abundance (MSA) évalue l’abondance moyenne des espèces dans un écosystème par rapport à un état de référence naturel, tandis que le Potentially Disappeared Fraction of species (PDF) estime la fraction d’espèces susceptibles de disparaître en raison des pressions anthropiques. Ces métriques de biodiversité sont utilisées pour agréger les impacts divers tels que l’usage des sols ou la pollution en indicateurs d’impact agrégé de gain/perte de biodiversité.