La COP28, terminée le 13 décembre dernier à Dubaï, a rassemblé 198 nations pour le premier bilan mondial de l’action climat depuis l’Accord de Paris. Ce bilan avait pour objectif d’évaluer les réductions des émissions GES et de renforcer les efforts de résilience au changement climatique notamment à travers le financement. Un accord historique a été atteint pour favoriser une transition écologique hors des combustibles fossiles, mais quels sont les enjeux réels ?
La production d’énergie au cœur des négociations climatiques de cette COP28
Un accord historique mais imparfait sur une transition hors des énergies fossiles
Les 198 Etats présents dans cette COP28 à Dubaï ont finalement trouvé un accord mercredi 13 décembre qui appelle chaque partie à opérer une « transition hors des énergies fossiles » pour atteindre la neutralité carbone en 2050. En presque trente ans de négociations climatiques, il aura fallu attendre l’accord de la COP26 à Glasgow pour qu’une énergie fossile, le charbon, soit mentionnée. Le projet de décision de la COP28 pointe de façon inédite la responsabilité des énergies fossiles dans le changement climatique et mentionne explicitement l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Cette mention devrait notamment contraindre la Chine et l’Inde à réviser leurs stratégies nationales qui prévoyaient initialement d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 et 2070 respectivement. Cet accord est donc un progrès notable, compte tenu notamment du pays hôte, 7ème producteur de pétrole mondial, de la présidence de la COP par Sultan Al-Jaber et des nombreux scandales autour des lobbys de l’industrie fossile.
Cependant, si ce texte est salué par la communication de la présidence de la COP28 comme un accord historique, les résultats, certes encourageants, ne sont pas à la hauteur des enjeux. En effet, bien que mentionnées, les énergies fossiles sont exemptes de tout objectif commun daté, précis et contraignant visant à arrêter leur consommation et leur production. Le texte « invite » les parties à « contribuer à des efforts globaux » pour « engager une transition hors des énergies fossiles » (« transitioning away »), sans spécifiquement imposer des objectifs visant à éliminer (« phase out ») ou même à réduire progressivement (« phase down ») la production et la consommation de ces combustibles fossiles au sein de leurs systèmes énergétiques.
La transformation promise tient à la bonne volonté des Etats qui contribueront comme ils le souhaiteront « chacun à sa manière » et « de façon souveraine ». Cependant, les engagements actuels des Etats sont très insuffisants. En effet, si les contributions déterminées au niveau national (CDN) inconditionnelles, telles qu’énoncées dans le cadre de l’Accord de Paris, étaient pleinement mises en œuvre, cela conduirait à une trajectoire mondiale permettant de limiter la hausse des températures à 2,9 °C par rapport aux niveaux préindustriels au cours de ce siècle. Quant à la mise en œuvre complète des CDN conditionnelles, elle réduirait cette hausse à 2,5 °C. Ce suivi, mis à jour annuellement par l’UNEP, montre donc que la « bonne volonté » des Etats ne suffira pas.
De plus, le pétrole et le gaz ne sont pas mentionnés explicitement à la différence du charbon, dont seules les installations dépourvues de dispositif de captage du carbone sont concernées par une accélération des efforts pour en sortir. En revanche, le gaz est implicitement inclus dans les « transitional fuels » mentionnés dans l’accord. Cette énergie fossile est souvent présentée comme une énergie de transition au cœur des enjeux de « sécurité énergétique », une formulation utilisée par les industries pétrogazières qui n’en encourage pas la sortie. La combustion du gaz est certes moins émettrice que celle du charbon, mais en prenant en compte les émissions consolidées de l’ensemble des fuites et émissions de CO2 liées à l’énergie nécessaire pour acheminer le gaz, ces émissions se rapprochent de celles du pétrole.
Néanmoins, depuis juillet 2022, les activités gazières sont désormais incluses dans la liste des activités économiques durables sur le plan environnemental couvertes par la taxonomie européenne. Mais, chaque activité liée au gaz doit respecter des seuils d’émissions spécifiques, remplacer une installation au charbon existante qui ne peut être substituée par des énergies renouvelables, atteindre des objectifs précis de réduction des émissions et effectuer une transition complète vers les gaz renouvelables ou bas-carbone d’ici 2035.[2]
Cette COP28 accorde également une place prépondérante aux technologies de captage et de séquestration du carbone (CSC), des technologies pourtant peu matures et extrêmement coûteuses. Selon le scénario de zéro émission nette de l’AIE, actualisé en septembre 2023, seulement une quarantaine d’installations CSC sont opérationnelles à un stade commercial, principalement situées en Amérique du Nord. Leur capacité annuelle totale de captage atteint 45 Mt de CO2, ce qui équivaut à seulement 4% de la capacité de captage annuelle nécessaire d’ici 2050.[3] A l’instar du gaz naturel, il est à craindre que ces technologies soient utilisées pour prolonger la production d’énergies fossiles, bien qu’elles soient « en particulier » destinées aux secteurs « durs à décarboner » tels que l’industrie.
Certes imparfait, ce texte présente des avancées majeures pour les négociations sur le climat. La mention de la réduction de l’usage des fossiles consacre la reconnaissance d’un constat scientifique irréfutable et contribue à infléchir le discours de membres clés tels que l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole, la Chine, les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, qui considéraient jusqu’à présent cette démarche comme irréaliste.
Plutôt qu’un aboutissement, cet accord est un point de départ vers la neutralité carbone en 2050. Avant cette date butoir, les États devront réviser leurs Contributions Déterminées au niveau National (NDC) d’ici 2025 afin de passer de la réduction actuelle de 2% des émissions mondiales d’ici 2030 à l’objectif de 43% en 2030, puis à 60% en 2035, dans le but de contenir le réchauffement climatique à une augmentation de 1,5°C par rapport à l’époque préindustrielle. Si cet accord final laisse place à différentes interprétations, il revient aux pays de s’engager en faveur de l’interprétation la plus ambitieuse, tout en tenant compte de leur responsabilité commune mais différenciée.
Face à l’abandon des énergies fossiles, l’accélération du développement des énergies renouvelables
Pour atteindre cet objectif, le texte met en avant des solutions déjà disponibles, qualifiées « d’efficaces et peu coûteuses ».
Il engage notamment les parties à tripler la capacité mondiale de production d’énergies renouvelables et à doubler le rythme actuel d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici à 2030, un engagement une fois de plus difficile à mesurer. Dès le début des négociations, plus de 116 pays ont signé un engagement volontaire dans ce sens. Cette mesure vise à réduire la part des énergies fossiles dans la production mondiale d’énergie, mais jusqu’à présent, au niveau global, les énergies renouvelables se sont ajoutées au pétrole, au charbon et au gaz plutôt que de les remplacer. De plus, en raison des objections de la Chine et de l’Inde, les objectifs finaux n’ont pas été quantifiés. Les parties peuvent ainsi choisir la référence qui leur convient, compromettant ainsi l’atteinte de la cible.
En complément des énergies renouvelables, d’autres technologies bas-carbone sont évoqués dans le texte de la COP28, notamment le nucléaire et la production d’hydrogène bas-carbone. En particulier, le nucléaire apparaît pour la première fois dans un texte de COP et fait l’objet d’une déclaration de 23 pays, dont la France, s’engageant à tripler les capacités du nucléaire dans le monde d’ici à 2050[4]. A ce sujet, le dernier rapport du GIEC envisage une augmentation de la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial de 90% entre 2019 et 2050, comparé à une augmentation de 725% pour les énergies renouvelables[5].
Financement de la transition : entre espoir et désillusion
Entre la mise en œuvre opérationnelle du nouveau fond « Loss & damage » de la COP27 et l’augmentation des besoins de financement de tous les fonds, la question des financements était un des sujets les plus attendus à l’entrée de cette COP28.
À ce jour, les pays disposent de six fonds différents, dont un destiné aux pays les moins avancés et, le plus important, le Fonds vert pour le climat de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Ces différents fonds adressent des cibles différentes (pays vulnérables, pays en développement) ou bien des projets différents (adaptation, atténuation, etc.).
La mise en œuvre du fond « Loss & damage »
Dès les premiers jours de la COP28, le texte de mise en œuvre du fonds « Loss & damage » (Pertes et dommages) a été adopté. Alors que de nombreux blocages étaient craints sur l’opérationnalité de ce fonds, la décision fut finalement prise relativement rapidement et efficacement. Ce fonds, créé lors de la COP27 à Charm el-Cheikh dans l’objectif de fournir une assistance financière aux nations les plus vulnérables et les plus touchées par les effets du changement climatique, sera provisoirement hébergé pendant quatre ans par la Banque mondiale mais géré par un secrétariat indépendant.
Cependant, malgré le signal fort envoyé, de nombreuses lacunes subsistent dans ce texte. Tout d’abord, le texte ne comporte aucune contrainte ou obligation de contribuer au fonds pour les pays historiquement les plus émetteurs. Le texte prévoit simplement que les pays développés soient « exhortés » à y contribuer, tandis que les autres pays y sont « encouragés ». Par ailleurs, le texte ne précise aucun objectif financier à ce stade alors que les coûts économiques des pertes et dommages sont eux déjà bien estimés : ils sont évalués entre 290 et 580 milliards de dollars [6]. En comparaison, le fonds bénéficie seulement d’une enveloppe de 726 millions de dollars à la clôture de la COP, bien loin des montants nécessaires pour prévenir les dégâts et pertes des pays les plus touchés.
Des financements encore trop insuffisants
Volet atténuation
Malgré les efforts mis en œuvre lors de la COP 28, les financements pour l’atténuation restent largement insuffisants tous fonds confondus. En effet, pour l’atténuation, les engagements pris en 2009 à Copenhague pour mobiliser 100 milliards de dollars par an entre 2020 et 2025 ne sont toujours pas respectés [7].
Volet adaptation
De la même façon que pour le volet atténuation, le fonds consacré à l’adaptation, le Fonds d’adaptation du CCNUCC [8], ne trouve pas encore suffisamment de contributeurs : les versements en sa faveur ont atteint cette année 133,6 millions de dollars, soit moins que l’année dernière alors même que la Conférence de Glasgow, en 2022, avait prévu un doublement de son enveloppe : celle-ci était passée de 20 milliards à 40 milliards de dollars. Cela reste encore insuffisant, d’autant plus que les besoins réels s’établiraient entre 215 et 387 milliards de dollars [9].
Au niveau global
Plus largement, selon la CCNUCC, les besoins de financement de la transition environnementale s’élèveraient entre 5 800 et 5 900 milliards de dollars d’ici 2030, tandis que 4 300 milliards de dollar seraient nécessaires pour investir dans les énergies bas-carbone. Il faudrait aussi mobiliser 200 milliards de dollar pour financer les solutions fondées sur la nature d’ici 2030.
Les flux financiers publics et privés actuels pour le climat ne s’élèvent pourtant aujourd’hui qu’à 200 milliards par an. Ainsi, pour atteindre les objectifs en matière de climat, de biodiversité et de restauration, il est nécessaire de tripler d’ici à 2030 et quadrupler d’ici à 2050 les dépenses actuelles.
Des financements nuisibles à l’environnement plus importants
Lorsque les montants de l’ensemble des financements pour l’environnement sont comparés aux montants des financements pour des projets ayant un impact négatif sur la nature, le constat est alarmant : près de 7 000 milliards de dollars sont investis [10] chaque année dans le monde par des sources à la fois privées et publiques dans des activités qui ont un impact négatif sur la nature. Cette estimation représenterait environ 7 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, d’après le dernier rapport de l’UNEP (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) « État de la finance pour la nature 2023 »[11] sorti au début de la COP28 afin de nourrir les travaux des délégations et négociateurs et qui se base sur une analyse des flux financiers mondiaux.
Par exemple, les solutions fondées sur la nature sont financées à hauteur de 35 milliards de dollars d’investissements privés, soit 140 fois moins que les financements nuisibles à l’environnement. Il existe donc une disparité inquiétante entre les volumes de financement pour l’environnement et les flux financiers nuisibles à la nature.
A ce jour, encore 422 projets d’extraction fossile à gros potentiel d’émissions finales de CO2, surnommés « bombes carbone » sont encore financés, menaçant la possibilité de rester sous la barre des 1,5°C de l’Accord de Paris. En 2022, plus de 160 milliards de dollars de financements, sous la forme de prêts ou d’obligations, ont été alloués aux groupes développant ces sites d’extraction de ressources fossiles, selon les données de l’ONG Reclaim Finance et Bloomberg [12]. Si elles venaient à se réaliser, ces bombes carbone nuiraient directement aux actions réalisées pour diminuer les trajectoires de gaz à effet de serre et compromettraient les efforts engagés jusqu’à présents.
En bref: une COP mitigée sur l’engagement réel
Malgré les progrès réalisés au sujet des énergies pendant la COP28, ceux-ci restent encore globalement insatisfaisants face à la hauteur des enjeux du changement climatique. Les pays ne sont pas encore formellement contraints dans leurs objectifs et moyens de mise en œuvre ce qui vient encore entraver la possibilité d’une transition environnementale juste, efficace et rapide. En effet, le texte final de comporte pas d’objectifs communs, précis et contraignants, et chaque Etat est libre de contribuer comme il le souhaite. Les Etats ne sont donc pas formellement engagés dans une transition opérationnelle alors que les enjeux sont de plus en plus pressants.
Par ailleurs, au sujet du financement de la transition, malgré la mise en œuvre du nouveau fonds « Pertes et dommages », le financement générale la transition reste encore bien insuffisant au regard des enjeux (tout fonds confondus). Cependant, la question du financement étant le réel « nerf de la guerre », il est nécessaire d’adresser au plus vite ces sujets pour espérer une transition environnementale rapide et efficace.
C’est pourquoi, la question de l’énergie ayant été le principal sujet de la COP28 à Dubaï, le financement devrait être au cœur des négociations de la COP29 l’année prochaine à Bakou, en Azerbaïdjan. Cette dernière est déjà annoncée comme la « COP des finances »[13]. En effet, il est prévu que les négociations portent sur la refonte de l’ensemble du système financier et sur les manières d’augmenter les financements de chacun des fonds pour le climat.
Focus France: un rôle proactif sur l’énergie et la biodiversité
La France a adopté un rôle relativement proactif lors de cette dernière COP, à l’image de la position plébiscitée par l’Union Européenne et ce, sur différents aspects. Tout d’abord, la France a largement contribué à la mention de l’énergie fossile dans l’accord final de la COP en tant qu’énergie bas carbone permettant de s’éloigner des énergies fossiles. Une vingtaine de pays dont la France ont signé une déclaration commune pour tripler les capacités de l’énergie nucléaire dans le monde d’ici 2050 (par rapport à 2020). En termes de financement du nouveau fonds pour les pertes et dommages, la France s’est engagée à contribuer au Fonds « Loss & Damage » à la hauteur de 100 millions d’euros [14]. Par ailleurs, la France a lancé plusieurs initiatives en faveur de l’environnement, en partenariat avec d’autres pays :
La France a lancé le « Buildings Breakthrough » avec le Maroc, une initiative visant le zéro-émission pour le secteur du bâtiment d’ici 2030 [15]. Le secteur du bâtiment étant responsable de près de 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, la transformation de ce secteur est essentielle à la réussite des objectifs de l’accord de Paris.
La France a profité de la journée dédiée à la nature, aux terres et aux océans pour officialiser le dépôt de sa stratégie nationale sur la biodiversité 2030 (SNB) auprès de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique. La France a également de lancer avec l’Union européenne un partenariat avec la République du Congo d’un montant initial de 50 millions de dollars, ainsi que deux deux partenariats accordant 100 millions de dollars à la Papouasie Nouvelle-Guinée. Ces partenariats ont pour objectif de soutenir les engagements de ces pays en faveur de la préservation des écosystèmes forestiers.
Sources
[1] Rapport 2023 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions | UNEP – UN Environment Programme
[2] EU taxonomy: Complementary Climate Delegated Act to accelerate decarbonisation – European Commission (europa.eu)
[3] Net Zero Roadmap: A Global Pathway to Keep the 1.5 °C Goal in Reach – Analysis – IEA
[4] At COP28, Countries Launch Declaration to Triple Nuclear Energy Capacity by 2050, Recognizing the Key Role of Nuclear Energy in Reaching Net Zero | Department of Energy
[5] IPCC_AR6_WGIII_FullReport.pdf
[6] https://reseauactionclimat.org/les-pertes-et-dommages-consequences-irreversibles-du-changement-climatique/
[7] https://www.actu-environnement.com/ae/news/enjeux-dossiers-Cop28-43037.php4
[8] https://www.adaptation-fund.org/
[9] https://www.actu-environnement.com/ae/news/enjeux-dossiers-Cop28-43037.php4
[10] https://www.unep.org/resources/state-finance-nature-2023
[11] https://www.unep.org/resources/state-finance-nature-2023
[12] https://www.bankingonclimatechaos.org/
[13] https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/cop28-des-promesses-financieres-qui-devront-se-concretiser-lors-de-la-cop29-2041245
[14] https://biodiv.mnhn.fr/fr/news/bilan-de-la-cop28-sur-le-climat#:~:text=La%20France%20a%20annonc%C3%A9%20une,au%20sein%20d%27une%20COP
[15] https://www.ecologie.gouv.fr/cop28-france-lance-buildings-breakthrough-visant-zero-emission-secteur-du-batiment-dici-2030
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