L’année 2023 est cruciale pour le climat car marquée par deux événements majeurs:
- Le 20 mars 2023, le GIEC a dévoilé son sixième rapport
- La COP28 visant à évaluer pour la première fois les progrès accomplis depuis les accords de Paris.
Mais surtout, de nombreuses catastrophes naturelles ont ponctué l’année (incendies au Canada et dans les pays méditerranéens, fortes inondations aux Etats-Unis, en Lybie, en Inde et en Chine …) et juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré à ce jour.
Quelles leçons tirées du rapport initial de 2021?
En 2021 l’AIE (l’Agence Internationale de l’Energie) présentait dans son rapport « Net Zero by 2050 – A Roadmap for the Global Energy Sector » un scénario visant à atteindre la neutralité carbone en 2050 à l’échelle mondiale. Un an plus tard, au lieu de l’amorce d’une diminution des émissions de CO2 conformément au scénario prévu, le secteur de l’énergie a enregistré un nouveau record avec 37 gigatonnes de CO2, soit 1% de plus qu’en 2019 (voir Figure 1).
Cette hausse des émissions témoigne du redressement post-COVID de l’activité économique, accompagné d’une augmentation de la demande en énergie fossile, contrairement aux prévisions de baisse. Depuis 2021, les préoccupations liées à la sécurité énergétique se sont accentuées, remises en lumière par la guerre en Ukraine, provoquant une flambée sans précédent des prix de l’énergie. Ce qui a entraîné une augmentation des investissements dans les énergies fossiles, mais également dans les énergies dites propres.
L’AIE constate en effet une accélération du déploiement des énergies renouvelables qui n’avait pas été anticipée par le scénario NZE de 2021. Notons toutefois que malgré la forte croissance en puissance installée du solaire photovoltaïque et l’essor récent des véhicules électriques et du stockage d’électricité, l’éolien et la capture de carbone ont connu une croissance moins marquée.
Quels scénarios pour la mise à jour 2023?
Les nombreuses évolutions au cours des deux dernières années ont conduit l’AIE à réviser son scénario visant la neutralité carbone en 2050 dont les ajustements ont été présentés dans le rapport « Net Zero Roadmap: A Global Pathway to Keep the 1.5°C Goal in Reach », publié en septembre 2023.
Le message essentiel émanant de ce rapport de l’AIE réside dans la constatation que bien qu’il demeure théoriquement possible de limiter l’élévation des températures à moins de 1,5°C, le chemin pour y parvenir se complexifie davantage. En effet la hausse des émissions du secteur ne rend la pente vers le Net Zero que plus raide.
L’AIE met aussi l’accent sur le fait que les « advanced economies » (« économies développées ») doivent atteindre la neutralité carbone d’ici 2045 afin de permettre aux autres de l’atteindre en 2050.
L’AIE a construit différents scénarios au cours de ces rapport qui sont présentés en Figure 1. Parmi ceux-ci, le scénario fondé sur les tendances précédent l’Accord de Paris, anticipait un réchauffement de 3,5°C d’ici à 2100. En 2021, le scénario STEPS (Stated Policies Scenario), prenant en considération les politiques et réglementations en place et projetées, prévoyait un réchauffement de 2,6°C d’ici à 2100. La mise à jour en 2023 avance désormais 2,4°C .
Enfin, le scénario APS (Announced Pledges Scenario), supposant que tous les engagements climatiques pris par les gouvernements mondiaux en matière d’émissions nettes soient respectés intégralement et dans les délais impartis, prévoit un réchauffement de 2,1°C. Malgré des progrès notables du point de vue des engagements nationaux, ces avancées demeurent largement insuffisantes, ne permettant en aucun cas de contenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5°C. Les émissions de CO2 correspondant aux différents scénarios sont illustrées sur la Figure 1.
Quels objectifs pour la neutralité carbone d’ici 2050?
Afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, le scénario de 2023 de l’AIE fixe des objectifs ambitieux pour l’année 2030 :
- Les énergies renouvelables devront représenter 60 % de la production d’électricité et 29% de la production d’énergie, ce qui équivaut à tripler la capacité actuelle. Notons un léger recul par rapport au scénario de 2021, qui envisageait une part de 31% de la production d’énergie pour la même année. Malgré le déploiement intensif des panneaux solaires, la croissance moins marquée d’autres sources d’énergie renouvelable, telles que l’éolien, a limité cette progression.
- Les émissions de méthanes liées aux combustibles fossiles devront réduire de 75%. En effet, le secteur de l’énergie représente 40% des émissions de méthane mondiales. A cet égard, l’UE a adopté le 15 novembre un texte visant à limiter celles-ci pour les secteurs du pétrole, du gaz et du charbon.
- Les améliorations en termes d’efficacité énergétiques devront doubler. Cela sera rendu possible par l’utilisation de carburants plus efficaces, la mise en place de mesures d’efficacité technologique et enfin un changement comportemental.
- L’accélération de l’électrification principalement dans le secteur du transport avec une part de l’électricité dans le mix énergétique passant de 1% en 2022 à 8% en 2030 mais aussi dans le secteur du bâtiment où cette part passe de 35% en 2022 à 50%.
Pour atteindre ces objectifs, les investissements dans les énergies propres doivent être multipliés par 2,6 d’ici 2030 et aucun autre gisement fossile ne doit être exploité. Ces mesures devraient permettre de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie.
Quels leviers pour y parvenir?
À horizon 2050 les leviers envisagés dans le scénario de l’AIE nécessitent des investissements plus lourds qui sont à réaliser dès aujourd’hui pour assurer leur fonctionnalité future à grande échelle :
- La capacité en énergies renouvelables devrait être multipliée par 8, représentant ainsi 90% de la production d’électricité et plus de 70% de la production totale d’énergie. En parallèle, la capacité en énergie nucléaire devrait être doublée.
- L’électrification des services devrait entraîner une augmentation telle que l’électricité représenterait 50% de la consommation énergétique.
- Les technologies de capture, stockage et utilisation du carbone, bien que peu matures actuellement, joueront un rôle crucial dans la quête de la neutralité. En 2050, l’objectif est de retirer annuellement 1,7 GtCO2 , soit environ 4,6% des émissions du secteur de l’énergie quand elles ont atteint leur record en 2022.
- L’hydrogène et e-carburants constitueront également des leviers majeurs qui doivent trouver un marché pour assurer leur développement et dont les processus de production doivent être électrifiés.
- Les bioénergies qui représentent aujourd’hui 6% de la production d’énergie devront atteindre 13% en 2030 et 18% en 2050. Actuellement, les projets de production de biocarburants liquides ne représentent que la moitié de ce qui est attendu d’ici 2030.
- Le développement des infrastructures associées à ces leviers de transition n’est pas à négliger puisque l’inclusion de toutes ces nouvelles sources dans les flux énergétiques futurs va nécessiter une adaptation des réseaux. En 2022 la longueur du réseau mondiale de transmission et de distribution électrique était de 80 millions de km, le scénario prévoit déjà une croissance de 20% d’ici à 2030.
Que ce soit pour les leviers à court ou à long terme, de nombreux obstacles entravent leur déploiement. Notamment, un aspect crucial de la planification de la transition énergétique réside dans la sécurisation des marchés. Dans le cas des biocarburants, il est essentiel d’assurer la synchronisation entre la réduction de la demande en énergies fossiles et la production de biocarburants.
La transition vers des énergies propres engendre également de nouveaux risques en termes de sécurité énergétique. Les projets d’extraction de minéraux essentiels ne sont actuellement pas suffisants pour répondre aux besoins du scénario NZE d’ici à 2030.
Enfin, l’AIE insiste sur le fait que la lutte contre le changement climatique ne peut se faire que grâce à la coopération internationale afin de garantir un accès à l’énergie propre équitable pour tous. Dans les pays dit « emerging market » et « developing economies » le financement concessionnel pour les énergies propres devra atteindre 80 à 100 milliards de dollars d’ici 2030.
Afin de renforcer son appel à une action rapide, l’AIE a élaboré un scénario alternatif appelé « Delayed Action Case » plus aligné sur les tendances actuelles (STEPS et APS). Ce scénario qui rend compte d’une possible latence de la mise en place des actions identifiées et qui s’appuie davantage sur l’utilisation de la capture du carbone conduit à un réchauffement de 1,7°C en 2050 avant de retomber sous 1,5°C en 2080. Le message clé de l’AIE: même si le dépassement est temporaire il aurait des conséquences dramatiques à long terme, certaines étant irréversibles pour nos écosystèmes.
Quelles implications pour la France?
Afin d’évaluer la conformité de la France avec le scénario de l’AIE, une confrontation avec les scénarios de l’ADEME visant la neutralité carbone d’ici 2050 s’avère instructive. Bien que les comparaisons soient limitées du fait des différences de périmètre, des observations significatives peuvent être formulées.
Les deux se rejoignent sur un message principal : l’urgence d’agir.
Cependant, le scénario de l’AIE est plus ambitieux que ceux développés par l’ADEME puisque la France devrait atteindre la neutralité carbone en 2045 plutôt qu’en 2050. Par ailleurs, alors qu’à horizon 2030 l’AIE prévoit une réduction de 56% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2018, l’ADEME prévoit une réduction de 26% à 43% selon les scénarios .
Pour autant, la réduction de la demande en énergie est un levier plus important dans les scénarios de l’ADEME que dans ceux de l’AIE. En effet, l’AIE prévoit une réduction de la demande en énergie en 2030 par rapport à 2015 de 13%, contre 23% à 54% selon les scénarios de l’ADEME.
Les deux institutions se rejoignent cependant sur le rôle majeur joué par les énergies renouvelables et l’électrification des services. En effet, dans chacun des scénarios proposés par l’ADEME, l’approvisionnement en énergie est assuré à plus de 70% par les énergies renouvelables et l’électricité représente entre 42 et 56% de la consommation énergétique finale.
Sources :
ADEME. (2021). Transitions 2050.
AIE. (2021). Net Zero by 2050 A Roadmap for the Global Energy Sector.
AIE. (2023). Net Zero Roadmap A Global Pathway to Keep the 1.5°C Goal in Reach.
AIE. (2023). World Energy Outlook 2023.
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