Insight | La COP15 Biodiversité arrive enfin: que peut-on en attendre?

Insight | La COP15 Biodiversité arrive enfin: que peut-on en attendre?
Posté par :
Eliette Verdier Eliette Verdier
Solenn Petit Solenn Petit

La signature de l’accord pour un nouveau cadre international sur la biodiversité pour la période 2020-2050 se fait attendre depuis 2020. La réunion des parties prévue au mois de décembre à Montréal pour la COP15 sera-t-elle vraiment au rendez-vous des attentes des parties prenantes ?

La COP15 de la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) est la 15ème réunion des parties de la Convention, son organe directeur, qui est composé de tous les gouvernements signataires de la Convention (196 aujourd’hui) et se réunit tous les 2 ans normalement. La CBD a trois objectifs principaux :  la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de la diversité biologique, et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétique.
L’édition de 2022 devrait permettre aux parties de s’accorder sur un cadre d’engagement international pour la biodiversité post-2020, avec un jalon à 2030 et un objectif final pour 2050.
Pour suivre les dernières mises à jour à propos de la COP15, vous pouvez consulter le site officiel de la CBD.

Les raisons de l’érosion de la biodiversité sont connues, les changements nécessaires à l’arrêt de cette érosion le sont également, dans les grandes lignes (maitrise de la consommation, changement des modes de production, etc.) [1]. Les enjeux économiques et politiques de ces changements sont d’autant plus complexes que les transformations nécessaires sont fondamentales – plus radicales encore que pour atténuer le changement climatique et s’y adapter.

Après l’échec des objectifs d’Aichi [2] et les difficultés de la CBD à organiser la COP15, l’enjeu pour les négociateurs est de réussir à aligner ambition, indicateurs de suivi et moyens financiers.

Les enjeux des débats : aires protégées, réduction des pressions sur la biodiversité, reporting, financement, etc.

Les Parties négocient actuellement un texte détaillant les moyens d’arriver à « vivre en harmonie avec la nature d’ici à 2050 », qui est la vision de la CBD.

Le texte intègre 4 objectifs à 2050 (« Goals »), articulés en plusieurs jalons (« Milestones »), et 21 « Targets » à plus court-terme, pour 2030 (« 2030 Action Targets ») – qui attirent tout particulièrement l’attention.

 

 

Un des premiers sujets est la conservation, et donc les surfaces couvertes par les aires protégées. La Target 3 vise la protection de 30% des terres et 30% des océans d’ici à 2030 au niveau mondial, alors que seulement 17% de la surface terrestre et 7% des zones marines et côtières étaient protégées en 2020 (CBD 2020a voir note [2]). Comment ces aires protégées se répartiront-elles entre les Parties et avec quelle protection est une question éminemment épineuse, au vu de la variabilité des enjeux de conservation selon les zones, des besoins de financement, des politiques nationales, régionales et internationales, etc.

L’ambition de « vivre en harmonie avec la nature » ne peut se résumer à la seule augmentation des aires protégées, qui n’est pas suffisante pour stopper la perte de biodiversité. La réduction des pressions directes et indirectes est également clé, et cela se pilote tant par les états que par les acteurs privés. Si les discussions ne portent que peu sur les objectifs à fixer au niveau des entreprises / secteurs d’activité, il est incontestable que leur engagement est nécessaire pour atteindre les objectifs qui seront votés – elles sont d’ailleurs directement concernées par plusieurs Targets.

On peut notamment citer les Targets suivantes – qui sont particulièrement sources de tensions dans les négociations :

  • Target 6 : réduire le rythme d’introduction des espèces invasives d’au moins 50%
  • Target 7 : réduire les pollutions de nutriments, notamment d’azote, d’au moins 50% ; des pesticides d’au moins 66% ; élimination des rejets de plastiques
  • Target 10 : gérer durablement les surfaces agricoles, sylvicoles et aquacoles (pas d’objectif quantitatif plus précis n’est donné)
  • Target 15 : analyser et reporter les impacts et dépendances à la biodiversité des entreprises, sur leur chaîne de valeur, et réduire d’au moins 50% les impacts négatifs, augmenter les impacts positifs

Le financement de ce cadre fait débat entre les Parties (cf. Target 19) : il est aujourd’hui établi qu’il manque environ 700 milliards de dollars de financement annuel pour atteindre les objectifs de « vivre en harmonie avec la nature » [3]. Parmi les leviers identifiés et en débat, on peut citer la réduction du financement des activités nocives à la nature, la mobilisation du secteur privé dans le financement de ce cadre, et des subventions entre Parties.

 

 

La COP15 de la CBD sera-t-elle l’équivalent de la COP21 pour la biodiversité ?

C’est-à-dire, réussira-t-elle à associer les organisations non-étatiques et leurs contributions (dont les entreprises et les acteurs financiers) ? Sera-t-elle un moment de mobilisation citoyenne, relayé largement dans la presse internationale ? Les parties réussiront-elles à s’accorder sur un objectif clair quantitatif de limitation de l’érosion de biodiversité mondiale, et des moyens pour y parvenir ?

Cette COP15 mobilise les acteurs privés, qui sous l’attention médiatique sur le sujet prennent l’occasion pour prendre des engagements. Le dynamisme de la coalition Business for Nature, créée en 2019, est porteur d’espoir. Elle réussit à mettre d’accord 330 entreprises et institutions financières avec un bon nombre de multinationales aux impacts importants sur la biodiversité (Carrefour, Google, Iberdrola, LafargeHolcim, etc.) ainsi que des experts comme I Care, autour de la Target 15 pour « rendre obligatoire l’évaluation et la divulgation des risques et impacts pour la nature », une initiative propulsée par la pétition et la campagne #MakeItMandatory.

Beaucoup de chemin reste à parcourir avant que les pays, les acteurs privés et les organisations ne concrétisent largement des ambitions fondées sur la science, quantifiées et temporellement exigeantes pour contraindre les activités économiques et nos modes de vie afin de « vivre en harmonie avec la nature » comme le suggère le texte aujourd’hui en débat.

Si les attentes de la société civile et de certains pays sont fortes, les difficultés rencontrées par les négociateurs à faire avancer le texte et y intégrer des engagements concrets sont révélatrices des fortes tensions internationales. De nombreuses inconnues demeurent encore sur les ambitions réelles du texte qui sera voté.

Un objectif quantitatif à l’horizon ?

Reste le sujet de l’engagement pour un objectif quantitatif de limitation de l’érosion de biodiversité. L’horizon souhaité est clairement posé: « mettre la biodiversité sur la voie de la récupération d’ici 2030 », mais sa déclinaison en objectif mesurable pour les Etats et acteurs économiques est loin d’être limpide. I Care est un acteur actif du développement de ces indicateurs à différentes échelles en valorisant tous les travaux de recherche réalisés ces 10 dernières années sur l’état de la biodiversité et les impacts sur la biodiversité des activités économiques. Avec Iceberg Data Lab et CDC Biodiversité, I Care soutient notamment la métrique MSA et km².MSA comme indicateurs pertinent pour l’Objectif A et la Target 15 [4] (voir ici pour devenir co-signataire de la pétition).

Au-delà des indicateurs, il est capital de proposer aux acteurs économiques des cadres d’évaluation et d’engagement internationaux adaptés aux entreprises, qui permettront à chaque acteur d’accélérer et d’approfondir l’évaluation de son modèle d’affaire au regard des impacts sur l’érosion du vivant et des risques sous-jacents : les cadres proposés par SBTN, la TNFD ou ACT4Nature sont très utiles pour enclencher cette dynamique des acteurs économiques qui est complémentaire des efforts de la COP15. Ces initiatives sont logiquement en très forte attente d’un consensus international sur « l‘objectif global de reconquête », afin de pouvoir le décliner à la maille des entreprises et des institutions financières, comme cela a été le cas sur le climat avec l’accord de Paris.

 

Références

 

« Insight » est notre série de publications destinées à vous aider à mieux comprendre les événements importants d’aujourd’hui. D’autres publications de Insight sont disponibles ici.

Menu Principal