Une finance plus « positive » et connectée à l’économie réelle constitue l’une des réponses clés à la crise que nous traversons. Plus que jamais, la finance à impact montre une voie : elle promeut de nouvelles façons d’investir et des innovations sociales et environnementales à fort potentiel.
Le choc que nous traversons bouleverse l’économie mondiale et nos vies quotidiennes. Il ne vient pas, comme il y a douze ans, d’une nouvelle dérive de la sphère financière mais, pourtant, soulève avec acuité la question de son utilité sociale, si souvent contestée. La finance est appelée à se reconnecter à l’économie réelle et mobiliser effectivement l’épargne pour financer ce qu’il faut bien nommer une reconstruction, c’est-à-dire des projets porteurs d’innovation et progrès pour la collectivité.
Nous sommes convaincus que la finance à impact constitue l’une des réponses les plus pertinentes à la crise. Ces investissements sont réalisés « avec l’intention de générer un impact social et environnemental couplé à un retour financier ». Leur poids est aujourd’hui faible (environ 715 mds $ en 2020 contre 502 mds $ l’année dernière [1]) mais si leur croissance s’accélère nettement, c’est précisément parce qu’ils tentent de placer au cœur du modèle la recherche et la mesure d’effets positifs sur l’économie réelle.
La finance à impact, c’est tout d’abord une voie pionnière, une autre façon d’investir et de s’investir. Elle introduit des financements plus simples, faisant un lien explicite entre un impact recherché et l’entreprise financée. Elle met en place des outils de mesure de ces « externalités » pour vérifier la cohérence entre engagements pris et réalisations concrètes. Elle est portée par une nouvelle génération de financiers engagés, qui s’investissent au plus près des entreprises et de leurs équipes et retrouvent la valeur du temps long. Ils déploient, y compris sur les marchés cotés, une vision plus patiente de l’investissement.
Réparer les fractures
Le choc nous a fait redécouvrir les vertus de la proximité, notamment dans l’accès à l’essentiel (se nourrir, se soigner, rester en contact avec les nôtres). Le débat est ouvert sur le besoin d’une relocalisation de certaines chaînes de valeur, mais sans attendre, la finance peut aider à répondre aux vastes opportunités de projets à impact dans les territoires à même de revitaliser le tissu économique avec un triple objectif : capter plus de valeur ajoutée locale, la distribuer plus équitablement et opérer de façon plus écologique. Quelques exemples : les Comptoirs de campagne vendent des produits locaux en circuit-court et des services (poste, presse, etc.) aux habitants des zones rurales. Le fonds d’impact lancé par SWEN sur les gaz renouvelables accompagne des agriculteurs dans la mise en place de projets de méthanisation qui leur permettent de compléter leurs revenus, de recycler des déchets organiques et de s’en servir comme fertilisant ensuite pour leurs champs. Des entreprises comme Medadom ou Tessan proposent des services de téléconsultation dans les pharmacies des déserts médicaux. Ces projets montrent aussi que la technologie ne s’oppose pas à la proximité : combinée à des approches “physiques”, pensée à l’aune de son utilité sociétale, elle peut au contraire la faciliter.
La « finance à impact » peut ensuite contribuer à réparer les fractures qui vont s’accentuer avec la crise et l’accélération digitale. Le secteur financier a beaucoup usé (et parfois abusé) du concept « d’alignement d’intérêt », censé garantir une plus grande efficacité entre agents économiques et contreparties dans une transaction. Recherchons désormais un « alignement » sur les besoins des plus fragiles : les moins qualifiés, les salariés des secteurs les plus touchés par la crise en cours, les jeunes diplômés et certaines catégories d’indépendants et de seniors. Sur un marché de l’emploi déstabilisé, accompagnons par exemple l’émergence de solutions intelligentes : ces nouvelles plateformes digitales qui facilitent la mise en correspondance des besoins des entreprises et les disponibilités des salariés “cols bleus”, telles que CleverConnect ou Andjaro, ou encore la plateforme Vendredi, qui met des salariés en relation avec des associations pour les aider à résoudre des problèmes sociaux sur leur temps de travail. Sans oublier de renforcer, au travers d’une finance solidaire plus mobilisée que jamais, tous ces projets qui font leur preuve depuis plusieurs années sur la réinsertion des employés, l’accès aux formations professionnelles ou encore au micro-crédit pour le développement de projets entrepreneuriaux, tel que proposé par l’ADIE par exemple.
Prendre en compte la résilience sociale et environnementale
A l’indispensable mesure de l’empreinte environnementale, associons de façon plus systématique la mesure de l’empreinte sociale des investissements. Les approches se développent : lancement d’une notation extra-financière centrée sur l’emploi local par Humpact, ou évaluation, par la société de gestion Sycomore, de la contribution à l’emploi des entreprises cotées de son portefeuille en termes de qualité, de quantité et d’accessibilité. Et utilisons ces outils pour sélectionner et piloter des investissements, au-delà de la communication sur les financements déjà réalisés.
Sur le plan environnemental, le débat politique et citoyen s’est engagé sur l’orientation du plan de relance et la possibilité de flécher des financements vers les filières bas-carbone pour préparer l’« après ». La finance fait aujourd’hui la part belle aux grands projets d’infrastructures « propres » : le dernier fonds pour les énergies renouvelables de Copenhagen Infrastructure Partners vient de lever 1,5 milliard d’euros pour développer des projets éoliens, solaires, de stockage et de valorisation énergétique des déchets. Ces infrastructures sont indispensables mais n’oublions pas les projets à taille humaine qui nous permettent d’agir individuellement et d’être moins vulnérables aux chocs à venir sur le pétrole : les nouvelles formes de mobilité par exemple (motos électriques, co-voiturage, etc.) ou encore les applications qui suivent l’impact carbone de nos consommations quotidiennes, comme Greenly.
L’une des missions cruciales de la finance est d’allouer le capital dans l’économie de manière « optimale ». Cette optimalité ne peut plus se définir aujourd’hui sans prendre aussi en compte un objectif de résilience de la société dans ses différentes dimensions sociales et environnementales. Après le COVID, la finance responsable, c’est la finance à impact.
Elodie Nocquet Antoine de Salins
Antoine de Salins est directeur associé du cabinet I Care & Consult.
Elodie Nocquet est fondatrice du cabinet Better Way, qui souhaite faire progresser la cause de l’impact, en accompagnant le basculement actuel des acteurs financiers et des entreprises vers plus d’impacts positifs.
[1] Evaluation du marché de l’investissement d’impact par le GIIN : https://thegiin.org/research/publication/impinv-survey-2020