Décryptage du Bilan d’Activité Climat 2019 de l’AFD avec Bertrand Reysset, Expert principal adaptation au changement climatique

Décryptage du Bilan d’Activité Climat 2019 de l’AFD avec Bertrand Reysset, Expert principal adaptation au changement climatique

Depuis plus de vingt ans, l’AFD mène en matière de climat une politique ambitieuse, qui se reflète dans sa Stratégie Climat 2017-2022, et dans les objectifs importants que l’Agence s’est donnée : assurer une activité « 100% Accords de Paris » en garantissant la cohérence de ses investissements avec un développement bas carbone et résilient, et destiner 50% de ses engagements à des projets ayant un co-bénéfice climat. Pour ce deuxième volet, le Groupe s’est fixé l’objectif d’atteindre 5 Mds€ d’investissements climat annuels à 2020, dont 1,5 Mds€ en faveur de l’adaptation au changement climatique.

Selon son Bilan d’Activité Climat 2019, paru le 14 avril 2020, le Groupe AFD a pleinement atteint ses objectifs, avec 6,1 Mds€ investis dans des projets à co-bénéfice climat en 2019.

En matière d’adaptation, le Groupe a également atteint sa cible à 2020, avec 1,8 Mds€ d’engagements climat alloués à ce volet (2Mds€ si on inclut les prêts de politique publique en faveur de l’adaptation). Ce montant s’inscrit par ailleurs dans une trajectoire croissante des investissements AFD en faveur de l’adaptation, qui s’élevaient à 1,4 Mds€ en 2018, et à 0,85 Mds€ en 2017.

Afin de mieux comprendre cette évolution, et pour apporter plus en général un éclairage sur les activités de l’AFD au sujet de l’adaptation, I Care & Consult a échangé avec Bertrand Reysset, expert principal adaptation à l’AFD, pour décrypter ensemble les chiffres clés du Bilan.

Comment l’AFD comptabilise-t-elle les co-bénéfices adaptation d’un projet ?

Les méthodologies de comptabilisation des financements climat en faveur de l’atténuation et de l’adaptation sont bâties autour des principes communs agréés en 2015 par les membres des banques multilatérales de développement et de l’IDFC.

Un projet concourt à l’adaptation lorsqu’il réduit la vulnérabilité des biens, personnes et écosystèmes aux conséquences du changement climatique. Un projet (ou une composante de projet) est comptabilisé(e) climat/adaptation sur la base de :

  1. L’analyse du contexte de vulnérabilité au changement climatique ;
  2. L’expression dans la documentation du projet de la volonté de traiter les risques climatiques recensés ;
  • La démonstration de l’impact bénéfique des actions prévues par le projet sur les enjeux de vulnérabilité au changement climatique identifiés dans la zone.

Source : AFD, Bilan d’Activité Climat 2019.

1. A quels facteurs attribuer la trajectoire croissante des engagements de l’AFD en matière d’adaptation ?

En volume absolu, oui, l’AFD a effectivement augmenté ses engagements en faveur de l’adaptation cette année. Cependant, si on compare les investissements « adaptation » à l’ensemble des financements climat, ce pourcentage reste identique à 2018, autour de 30-32%. Ça reste toute de même un résultat considérable, qui montre que malgré la hausse du volume d’activité du Groupe par rapport à 2018 (+23%), les équipes arrivent à tenir le cap et promouvoir l’adaptation.

2. Quel a été donc le tournant clé au sein de l’AFD en matière d’adaptation ?

Le grand changement de vitesse au niveau des engagements en matière d’adaptation a eu lieu entre 2017 et 2018, quand l’AFD est passée de 0,85 Mds€ (20%) à 1,4 Mds€ (30%) d’engagements climat en faveur de l’adaptation[1]. La raison derrière ce bond a été principalement due, à ma compréhension, à une meilleure intégration de la division climat (CLI) au sein des équipes projet et, plus largement, à une meilleure synchronicité avec le cycle d’instruction des projets. L’amélioration des supports informatiques pour la gestion de projet a également facilité l’accès en temps réel aux détails du projet ; cela permet, d’une part, d’identifier et d’intégrer dès la phase de conception du projet tous éléments ayant potentiellement un co-bénéfice adaptation. D’autre part, ça permet d’assurer que ces éléments soient dument mis en valeur dans la fiche projet, ce qui nous permet ensuite de justifier la comptabilisation climat d’une portion ou de la totalité de l’investissement associé au projet. Par ailleurs la priorité accordée par le Top Management aux objectifs climat chaque année est source de motivation pour toutes les équipes.

3. Quelles sont les typologies de projets qui intègrent le plus souvent des co-bénéfices adaptation ? Et les secteurs les plus difficiles à « convertir » sous le prisme du climat ?

Comme le montre le Bilan 2019, le gros de l’activité AFD en matière d’adaptation est constitué par les projets en lien avec gestion des ressources en eau (29%), les lignes de crédits ciblées adaptation (24%), les projets d’agriculture durable et les solutions fondées sur la nature (24%), et les projets de résilience urbaine (12%). En revanche, les secteurs dans lesquels nous avons encore du mal à valoriser un co-bénéfice adaptation sont les secteurs sociaux, notamment la santé et l’éducation. En effet, sur ces sujets, l’AFD souhaite investir surtout dans des projets transversaux, qui ne ciblent pas de thématiques spécifiques mais qui visent à renforcer en général tout le système sanitaire ou éducatif d’un pays.  Par conséquent, même si ces projets offrent des bases nécessaires pour la résilience des populations face aux évolutions climatiques, de part de leur contenu peu spécifique ils s’avèrent souvent difficile à valoriser fortement en matière de finance adaptation.

4. Un secteur qui a eu une évolution significative dans la prise en compte des co-bénéfices climat pendant ces dernières années ?

Une typologie de projet relativement récente qui marche de mieux en mieux est la ligne de crédit ciblée adaptation. L’avantage principal de ce produit, qui a été introduit il y a deux ou trois ans, et qui représente aujourd’hui un quart des engagements en faveur de l’adaptation, est de permettre un ciblage en amont des projets d’adaptation, en coordination avec les acteurs économiques locaux et en lien avec les priorités du territoire. La limite de cet instrument, par contre, repose dans sa réplicabilité ; en effet, si pour l’atténuation il est relativement simple de répliquer la construction d’une ligne de crédit d’un pays à l’autre, en matière d’adaptation les critères d’éligibilité peuvent changer considérablement d’un contexte à une autre, en fonction des spécificités locales du territoire.

5. D’autres aspects à remarquer dans ce Bilan 2019 ?

Au-delà de la répartition par secteurs, il est aussi intéressant de remarquer que l’activité de l’AFD en matière d’adaptation est assez bien équilibrée en termes d’outils financiers. On pense souvent que l’adaptation c’est surtout des subventions, alors que cet outil financier ne représente que 13% du montant des engagements, et, comme le montre le Bilan, on peut très bien faire de l’adaptation avec des prêts aux Etats (30%), des financements des entreprises et collectivités bonifiés ou non (32%) des crédits et subventions délégués (13%) … Cela laisse entendre qu’au final l’adaptation est bien « mainstreamée » dans le cycle d’instruction de l’AFD et les risques climatiques inclus dans les opérations de ses partenaires.

6. L’AFD semble donc avoir une activité en matière d’adaptation bien consolidée. En quoi elle se distingue (ou pas) par rapport aux autres bailleurs de développement sur ce sujet ?

La proportion des investissements d’adaptation par rapport à l’enveloppe totale climat, qui correspond chez l’AFD à environ 30%, se rapproche des chiffres de la Banque Mondiale, et place surement l’AFD parmi les banques « performantes » en matière d’adaptation. Pour un comparatif avec les banques de développement en général, en 2018 les investissements globaux du Club IDFC[2] en faveur d’adaptation correspondaient à un peu moins de 13% (15 Mds€) de leurs engagements climat (125 Mds USD).

7. Quels enjeux figurent en tête de l’ordre du jour de l’AFD et de l’IDFC en matière d’adaptation pour les années à venir ?

L’adaptation occupe une place importante dans le plaidoyer de l’AFD auprès du Club IDFC ; nous aimerions en effet que la pratique de reporting en matière d’adaptation soit généralisée au sein du Club, alors qu’aujourd’hui seulement la moitié de ses membres en font. Cela s’explique par plusieurs raisons ; un besoin important d’expertise nécessaire à l’analyse des co-bénéfices adaptation des projets (plus chronophage par rapport à l’analyse des co-bénéfices atténuation de part de son caractère qualitatif et spécifique au contexte) ; mais aussi une méthodologie de comptabilisation complexe, qui demande une bonne synchronicité avec le cycle d’instruction des projets pour pouvoir intégrer l’adaptation dès la phase de conception.

A cet effet, un des sujets à l’agenda de la Facilité Climat IDFC pour les prochains mois portera justement sur le renforcement de capacités en matière d’adaptation. Ce renforcement passera par des formations, mais s’appuiera également sur le partage de connaissances et de bonnes pratiques, par le biais par exemple de co-financements et de co-instructions de projets entre les banques les plus avancées sur ces sujets et les autres membres.

 

I Care & Consult a eu l’opportunité de contribuer indirectement à la réalisation du Bilan d’Activité Climat 2019 en apportant un appui ponctuel à l’AFD dans l’analyse et la comptabilisation des co-bénéfices climat de ses engagements sur l’année passée. En effet, entre septembre et décembre 2019, Alessia Vittorangeli et Lucie Mouthuy ont côtoyé la division climat (CLI) dans ses activités d’appui aux opérations des équipes projet, et ont pu analyser les co-bénéfices climat de 54 projets, couvrant une large variété de secteurs d’activité et de régions géographiques.

Bilan des projets analysés par I Care & Consult

 

[1] Exclus les prêts de politique publique.

[2]L’International Development Finance Club (IDFC), créé en 2011 et présidé depuis octobre 2017 par l’AFD, rassemble 26 banques nationales, régionales et bilatérales de développement, et travaille pour mettre en œuvre l’agenda des Objectifs de Développement Durable et de l’Accord de Paris. Son dernier bilan d’activité climat, publié en décembre 2019, est disponible ici.

 

Par Alessia Vittorangeli, consultante Climat Adaptation à I Care & Consult

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